lecontexte

Mise en contexte des violences

 

La pratique de ce terrorisme sexuel s’inscrit dans un contexte de conflits armés avec le Rwanda, et est liée à l‘exploitation honteuse des richesses de ces territoires, ce qui implique aussi notre complicité passive...  Les terres, villages et mines de ces territoires sont pillés sans réaction de la communauté internationale. Ce qui est à l’oeuvre est un véritable génocide culturel. Le terrorisme massif sape les bases de cette société (destruction des rapports sociaux et familiaux et de toute forme de résistance de la société civile, propagation générale de la violence au Congo et banalisation du viol….)

Nous vous invitons à lire ce reportage de 2 pages de Johann Hari sur le Congo publié dans The Independent, RU en…1996 !  :

 

 "La tragédie du Congo:
la guerre que le monde a oubliée"
 
 
(original at http://news.independent.co.uk/world/africa/article362215.ece by subscription only)
 
Des milices rivales infligent des souffrances épouvantables à la population civile, et ce qui passe pour être une direction politique, est impuissant à l’arrêter. C’est cela le Congo, et les raisons du conflit – le contrôle de minerais indispensables aux gadgets électroniques dont dépend le monde développé – rendent notre aveuglement devant l’horreur doublement scandaleux

5 mai 2006 – Voici l’histoire de la guerre la plus mortelle depuis que les armées d’Adolf Hitler ont martelé l’Europe. C’est une guerre qui n’est pas finie. Mais c’est aussi l’histoire d’une traînée de sang qui mène directement à vous : à votre contrôle lointain, à votre téléphone mobile, à votre ordinateur portable et à votre collier de diamant. (…)
Cette guerre a été mise à l’écart comme une implosion africaine interne. En réalité, c’est une bataille pour du coltan et des diamants et de la cassitérite et de l’or destinés à être vendus à Londres, New York et Paris. C’est une bataille pour des métaux qui font vibrer et tinter notre société technologique et elle a déjà coûté quatre millions de vies et brisé une population de la taille de celle de Grande Bretagne. Non, ce n’est pas seulement une histoire sur eux. Ceci est le récit d’un court voyage dans la longue guerre congolaise que nous, à l’Ouest, avons encouragée, attisée et financée,
c’est une histoire sur vous.
 
Des viols dans des viols
 
Le voyage commence dans un pavillon où plein de femmes ont été violées collectivement et ensuite on a tiré dans leur vagin. Je me trouve dans un endroit de fortune de l’hôpital Panzi de Bukavu, le seul hôpital qui essaie de s’occuper du feu de brousse de violence sexuelle dans l’est du Congo. La plupart d’entre elles se sont drapées profondément dans leur couverture. Je ne peux voir que leurs yeux qui me dévisagent le regard vide. Le Dr. Denis Mukwege explique. “C’est arrivé à près de 10%des victimes de viols collectives,” dit-il doucement, ses grandes mains rentrées dans sa blouse blanche. « Nous essayons de reconstruire leur vagin, leur anus, leurs intestins. C’est un long processus. » (…)
« Ce que ces femmes avaient souffert dépassait simplement notre entendement. » Les armées en conflit avaient découvert que le viol était une arme efficace dans la guerre. Même dans cette petite province du Sud Kivu, l’ONU estime que 45.000 femmes ont été violées, l’année dernière seulement. « Cela détruit le moral des hommes de violer leurs femmes. Estropier leurs femmes, estropie leur société, » explique-t-il en hochant la tête.
« Quand les viols commencent, les maris et les pères fichent souvent le camp et ne reviennent plus jamais. Les femmes n’entendent plus jamais parler d’eux. Dans d’autres cas, les hommes rejettent la responsabilité sur les femmes et les évitent. Les victimes de viol ne sont presque jamais réintégrées dans leur vie passée. C’est très difficile pour nous de persuader les femmes de quitter l’hôpital, parce qu’où peuvent-elles aller ? » (…)
Commencer ici est froidement approprié. Je découvrirai bientôt que le viol de milliers de femmes qui chancèlent à l’hôpital Panzi, ne font simplement partie que d’un plus grand viol, le viol du Congo. (…)
 
Si vous voulez avoir un aperçu sur les causes de tous ces morts, vous roulez pendant quatre heures à partir de la ville de Goma sur des routes vérolées de montagnes russes démolies qui fondent en boue avec la pluie, jusqu’à ce que vous arriviez à un endroit appelé Kalehe. Balafrant les vertes collines luxuriantes, on voit ce qui semble être de grandes croûtes rouges qui étincellent au soleil. Le terme technique pour ces blessures ouvertes dans la terre est « mines artisanales », mais cette sèche terminologie évoque des images de fouilles techniques avec des machines, des lumières et des casques. En réalité, ce sont d’immenses trous dans le sol, dans lesquels des hommes, des femmes et des enfants - plein d’enfants – grattent désespérément avec des marteaux de fortune ou leurs mains nues la terre rouge dans l’espoir de trouver un peu de coltan ou de cassérite à déposer sur le long tapis roulant vers votre maison ou la mienne. Lecoltan est un métal conducteur de chaleur inhabituellement génial. On le retrouve dans votre portable, votre ordinateur portable, la console de jeu de votre fils – et 80% des réserves du monde se trouvent sous la République démocratique du Congo. (…)
 
Après le génocide de 1994, au Rwanda, - un massacre qui a même fait pâlir Auschwitz – des dizaines de milliers de manieurs de la machette du Pouvoir Hutu s’enfuirent en passant la frontière congolaise et établirent des bases à long terme. Comment n’importe quel pays pouvait-il ne pas réagir avec ses meurtriers armés et rendus fou à ses frontières ? « Nous devons empêcher le regroupement des génocidaires » a dit Paul Kagame, le Président du Rwanda, soutenu par l’armée ougandaise à la remorque de ses hommes.
De son palais à Kinshasa, Kabila lança un appel à ses amis pour l’aider à résister contre l’attaque rwando-ougandaise. Les dictateurs du Zimbabwe, de Namibie et d’Angola envoyèrent obligeamment des troupes qui pénètrèrent au Congo pour répliquer et ainsi commença la Première guerre mondiale d’Afrique. Les armées et les milices qui maraudaient au Congo devinrent des rebelles sans cause, se combattant les uns les autres parce qu’ils étaient là et parce que se retirer serait un aveu humiliant de défaite. Dans cette version, la guerre au Congo est un gâchis commencé dans les meilleures intentions, le désir des – Rwandais - de traquer les génocidaires pour dégénérer en perte de contrôle. Elle présente le massacre massif comme un merdier géant, une erreur cosmique. C’est étrangement rassurant. C’est aussi un mensonge. (…)
 
Une fois le Congo baigné de morts, l’ONU chargea un panel d’hommes d’état internationaux de voyager dans le pays et de découvrir les raisons derrière cette guerre. Ils découvrirent que l’histoire du gouvernement rwandais cachait une vérité beaucoup plus sombre. Les Rwandais avait un objectif dès le tout début : s’emparer de l’immense richesse minière congolaise, de mettre la main sur le coltan et de nous le vendre, le monde en attente, tandis que nous effacions rapidement les informations sur cette guerre grâce à notre contrôle lointain rempli de coltan. Les autres pays sont intervenus non pas dans le but de repousser l’agression mais parce qu’ils voulaient un morceau du gâteau congolais. (…)
L’ONU a découvert le « Who’s Who » des compagnies britanniques, américaines et belges qui ont collaboré à ce crime.
Celles pour lesquelles ils ont recommandé des investigations supplémentaires sont l’Anglo American PLC, la banque Barclay, la Standard Chartered Bank et De Beers. Le gouvernement britannique a à peine suivi le rapport, acquittant publiquement quelques entreprises comme l’Anglo-American dont le Human Rights Watch a montré « qu’ils étaient de mèche avec les pires tueurs de la région, » et laissant d’autres comme De Beers dans une catégorie « non résolue » et non sanctionnée. (…)
 
Pourtant l’image la plus pénétrante de souffrance que je vois au Congo n’est pas ici, avec des familles consumées par la terreur, dormant dans les buissons (…) Non, ce sont les femmes qui portent plus que leur propre poids en bois, en charbon ou en sable, toute la journée, chaque jour. Sur tous les bords de routes congolaises, il y a des femmes avec une corde entaillant leur front quand elles attachent une charge massive sur leur dos. Avec si peu de chevaux, si peu d’autos et si peu de routes, on utilise des femmes qui meurent de faim comme bêtes de somme, transportant tout ce qui doit être déménagé sur leur dos pour 50 cents par jour. On leur donne le titre désuet de « porteurs ».
Francine Chacopawa a 30 ans mais elle paraît beaucoup plus vieille. (…) Quand elle dépose laborieusement et avec des douleurs le bois qu’elle porte, elle a une marque profonde rouge sur le front, là où était la corde, cerclée d’irritations qui suintent à cause du frottement. « Ceci est la corde qui maintient vivant mon foyer, » dit-elle. « Depuis que la guerre a commencé au Congo, on ne peut plus cultiver en paix, on ne peut plus élever d’animaux, et les enfants meurent de faim, ainsi, je préfère mourir dans ce travail. » (…)Les enfants que nous mettons au monde sont aussi forcés d’être porteurs. Nous sommes le peuple le plus malheureux du monde. »
 
 
Le chef d’état sans état. (…)
 
La Maison Blanche donne un curieux sentiment d’irréalité. C’est un hologramme de pouvoir, le simulacre d’un pays qui fonctionne. Kabila est dans la position surréaliste d’être un chef d’état, sans état, Président du Vide démocratique du Congo. Il n’a pas de leviers de pouvoirs à utiliser, il n’a pas d’armée digne de ce nom, il n’a pas de forces de police, il ne sait pas garder ses propres frontières ou construire ses propres écoles. (…) Pour contrôler ce « processus de paix », l’ONU a envoyé 17.000 soldats de la paix pour un pays aussi grand que l’Europe occidentale.(…)
 
La dernière fois qu’il y a eu un holocauste au Congo, les populations britanniques et américaines ont réagi avec une grande révulsion. Des livres comme « Le crime du Congo » d’Arthur Conan Doyle a dépassé le sommet de la liste des best-sellers, des millions envoyèrent des pétitions au Parlement pour qu’il agisse et le Royal Albert Hall était bourré lors d’un meeting de masse détaillant le long cauchemar du Congo. Un siècle plus tard, les mots et les analyses de cette grande campagne ont encore une résonance de vérité. Joseph Conrad l’appelait « la ruée pour le pillage la plus vile qui ait jamais défiguré la conscience humaine » - des mots qui pourraient fournir une introduction parfaite aux rapports du Panel d’experts de l’ONU maintenant.
Mais aujourd’hui, ces quatre millions sont morts dans l’obscurité, sans qu’on s’en aperçoive et sans qu’on les pleure. Les générations vivant en Occident aujourd’hui n’ont rien dit alors que le pays était réduit à des niveaux de désespoir presque léopoldiens à cause de la ruée pour piller, menée pour notre compte et notre profit. Le niveau moyen d’espérance de vie au Congo est maintenant de 42 ans et chute. Je n’ai vu aucune personne âgée au cours de mon voyage, elles n’existent pas. Dans un pays où on se réfère ridiculement à la guerre comme à « un enroulement vers le bas (winding-down) », tous les deux jours un World Trade Centre plein de monde est massacré, et dans les zones rurales perdues que je n’ai pu atteindre, la peste bubonique a fait un retour triomphant. Un ministre de la santé désespéré m’a dit, « l’ONU m’a dit de préparer un plan contre la peste aviaire. J’ai dû répondre en disant que j’étais impuissant à juguler la peste bubonique, alors que suis-je supposé faire avec des poules ? »
 
Cette guerre a été lancée par des pays qui sentaient « correctement » que notre désir de coltan et de diamants et d’or dépassait de loin notre préoccupation pour la vie des Noirs. Ils savaient que nous continuerions à acheter longtemps après que l’ONU nous ait informé que des gens mourraient pour nous fournir nos mobiles et nos consoles de jeu et le meilleur ami d’une fille. Aujourd’hui, nous achetons encore toujours et le gouvernement britannique – avec le reste du monde démocratique – entrave toute tentative pour introduire des règlements légalement applicables pour empêcher les entreprises de faire du commerce dans le sang congolais. Ils ignorent les avertissements de l’ONU que « sans la richesse générée par l’exploitation illégale de ressources naturelles, on ne pourrait pas acheter des armes, et ainsi le conflit ne pourrait pas se perpétuer » et l’ONU insiste que des règlements volontaires « et des entreprises en demande convenables vis-à-vis des Africains » sont « la voie la plus efficace ».
 
A Bukavu, un militant des droits humains de 29 ans, appelé Bertrand Bisimwa a résumé pour moi la situation de son pays avec une concision cruelle. « depuis le 19e siècle, quand le monde regarde le Congo, il voit une pile de richesses avec quelques Noirs assis malencontreusement dessus. Ils éradiquent la population congolaise pour pouvoir posséder les mines et les ressources. Ils nous détruisent parce que nous sommes un inconvénient. » Pendant qu’il parle, je me représente les femmes violées avec des balles enfouies dans leurs intestins et j’essaie de les mettre en balance avec les piles de biens électroniques inondés de sang disposés près de mon arbre du Noël avec leur petite quantité de métal congolais dans leur circuit. Bertrand sourit et dit, « Dites-moi  - qui sont les sauvages ? Nous ou vous ? »